On ne choisit pas « le peuple »…
Les manifestations « anti-passe » divisent nos camarades autour de la question : « Doit-on y participer dès lors que l’extrême droite semble y être très présente ? »
D’abord, il convient de préciser que dans la très grande majorité des cortèges, l’extrême droite n’était pas « très présente », elle y était surtout très visible. Une visibilité due au fait qu’en l’absence de direction claire de ces cortèges, l’extrême droite et ses représentants ont souvent pu s’afficher, dans les prises de parole notamment. Visibilité de l’extrême droite due aussi à l’appui des médias aux ordres de la bourgeoisie qui l’ont largement mise en avant.
Une partie de nos camarades se sont donc exprimés en déclarant « ne pas vouloir défiler aux côtés des fachos » ou encore, comme j’ai pu le lire, en reprochant à ceux qui défilaient de ne pas être intervenus contre des slogans ou des pancartes antisémites et/ou nauséabondes. Ces camarades ont de mon point de vue une curieuse idée du « peuple », sans doute une idée issue du romantisme révolutionnaire, un peuple uni dans une communion d’idées progressistes et tourné vers le renversement du capitalisme. Or, qu’il s’agisse par exemple de la Révolution française ou de la Révolution russe, il est évident que "le peuple" a toujours été constitué d’éléments politiquement et socialement hétérogènes (1). Cela ressort aussi bien de l’Histoire que du simple bon sens.
Par définition, le peuple rassemble toutes les sensibilités et toutes les idéologies d’une nation, et pas uniquement celles auxquelles nous adhérons. On ne choisit pas « le peuple ». Réduire ces cortèges à des foules anonymes qui seraient sous l’emprise de l’extrême droite serait une grave erreur. L’expérience de terrain montre que la grande majorité de celles et ceux qui protestent et se décident à entrer dans l’action ont rarement un bagage historique et idéologique solide et construit. La plupart sont nourris de la propagande de la classe dominante, la bourgeoisie, diffusée à longueur de médias, télés et journaux. Ils se décident à nous rejoindre quand leurs conditions de vie deviennent insupportables, leurs libertés individuelles menacées, ou leurs droits du travail bafoués. C’est à ce moment que nous devons être présents, à leurs côtés, et c’est à ce moment que commence l’éducation militante. N’oublions pas que ce qui fonde notre action, la lutte des classes, n’est pour beaucoup qu’une très vague notion.
Certes, comme l’ont relevé certains camarades il faut être « un pas devant, pas deux ». Mais pour « être un pas devant », encore faut-il « être avec ». Ce n’est pas en restant en retrait et en laissant le champ libre à l’extrême droite que nous défendrons nos idéaux. A nous, militants, d’éveiller la conscience de classe. A nous de contrecarrer le dévoiement de la légitime colère populaire par l’extrême droite.
Bernard Giusti
Ancien Secrétaire Général CGT hôpital Saint-Vincent de Paul
Ancien Secrétaire Général adjoint CGT hôpital Cochin
(1) "Quiconque attend une révolution sociale "pure" ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (…) La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement : sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme. » (Lénine, 1916)
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