Syndicat CGT Hopital COCHIN

Poste 11167

Surcharges de travail et sous-effectifs dans les hôpitaux : un cocktail explosif

lundi 27 février 2012 par Bernard Giusti Ancien Secrétaire Général Adjoint, Marise Dantin Ancienne Secrétaire Générale

A Cochin, les sous-effectifs mènent à la déshumanisation des postes de soignants

Les conditions de travail se sont grandement détériorées ces dernières années à l’hôpital Cochin, et à l’AP-HP en général. La CGT Cochin est intervenue à de très nombreuses reprises auprès de la direction à ce sujet. En effet, nous avons constaté une augmentation très importante des cas de personnels touchés par le stress et la dépression. Cette situation a renforcé le désarroi des plus faibles, ce qui a conduit à un nombre conséquent de suicides parmi nos collègues de l’AP-HP.

Le sous-effectif devenu chronique induit des surcharges de travail telles que le personnel est désormais amené à travailler « à la chaîne ». L’aspect humain du métier de soignant disparaît de jour en jour. Et inutile de compter sur les repos pour évacuer la fatigue engendrée par ces surcharges de travail…

Les nouvelles organisations de travail, élaborées en fonction de critères uniquement comptables, ont instauré des contraintes inacceptables, parfois ubuesques. Le personnel n’a pas le choix devant les menaces constantes de l’encadrement et doit accepter de renoncer, au détriment de sa santé et de sa vie de famille, aux repos légaux, ce qui bafoue le Code du Travail. De plus, lorsque les médias parlent de RTT dues, ils ne mentionnent que les médecins – qui eux ont été payés - mais ne parlent jamais du « petit personnel », lequel a donc un sentiment d’injustice exacerbé. Pour ce personnel, les repos non pris dans l’année… disparaissent ! Or, en raison des sous-effectifs, on leur interdit de les prendre !

A Cochin des collègues enceintes travaillant debout se sont vues refuser leur « heure de grossesse » - heure de repos prévue par le Code du Travail, à laquelle elles ont droit à partir du 3e mois. Dans un service d’hospitalisation post-opératoire une seule infirmière assurait les soins pour 20 patients (la norme est d’une infirmière pour 5 patients). Autre exemple, un agent dont la mère a été hospitalisée d’urgence s’est vu refuser de s’absenter par son cadre. Ou encore, on a interdit à une secrétaire médicale, « pour raison de service », d’aller chercher son enfant malade à la crèche de Cochin : on a donc appelé le SAMU pour venir chercher l’enfant… Les exemples sont hélas très nombreux.

Surcharges de travail et sous-effectifs : le cocktail est explosif. En effet, cette situation accroît considérablement les risques d’erreurs professionnelles. Le personnel vit donc dans la crainte constante de commettre une erreur qui mettrait la vie des patients en danger. Ces risques sont accrus par le fait que certains, pour lutter contre le stress et la dépression, doivent prendre des médicaments qui diminuent leur vigilance.

Pour ne rien arranger, la médecine du travail a été amputée de la moitié de ses médecins. Une grande partie du personnel ne peut donc plus être suivie, au moment même où une menace constante plane sur lui : en cas d’arrêts-maladie trop fréquents ou trop longs, ils sont dirigés sur une commission de réforme (avec à la clef un salaire de 800 euros). Au passage, notons que pour le gouvernement les fonctionnaires « abusent » des arrêts-maladie. Selon lui, les fonctionnaires sont indestructibles, ils ne sauraient être malades et lorsqu’ils s’arrêtent ce sont forcément des fainéants…

Malgré la souffrance de son personnel, l’AP-HP se préoccupe surtout de son image de marque : c’est qu’il faut bien attirer les « clients »… Ainsi à Cochin un nouveau bâtiment vient d’être ouvert. Selon la direction, « la plus grande maternité d’Île de France » offrira accueil et confort accrus pour les patientes. La réalité est tout autre : le sous-effectif y est encore aggravé de 30%, alors que l’activité augmente de 20%. Une fois encore, le personnel va être confronté à des risques psycho-sociaux majeurs. Loin d’apporter des solutions à son personnel, l’administration ne parle que de rentabilité. Il est vrai que depuis la Loi HPST de Bachelot, nous n’avons plus de « directeurs » mais des « managers » qui gèrent non plus des hôpitaux mais des entreprises. L’AP-HP parle beaucoup de « dialogue social ». La direction de Cochin a tenté de nous entraîner dans des groupes de travail consacrés aux risques psycho-sociaux. Considérant que cette même direction est à l’origine de ces risques psycho-sociaux, la CGT Cochin a refusé d’y participer : on ne négocie pas les conditions de la torture avec ses bourreaux…

Nous nous sommes toujours opposés à l’assujettissement de la Santé publique à une logique comptable instaurée au profit des intérêts privés. Cette logique met non seulement en danger les patients, mais entraîne une régression des conditions de travail. L’administration se moque éperdument de la santé physique et psychologique de son personnel. Nous avons reculé d’un siècle !

Les avancées sociales mises en place par le Conseil National de la Résistance sous l’impulsion décisive du Parti Communiste Français, la Sécurité Sociale d’Ambroise Croizat, tout cela est balayé par les appétits capitalistes.

A quand les actionnaires dans les hôpitaux publics ?
 
Marise Dantin et Bernard Giusti, CGT Cochin
 
 

L’administration nie tout rapport entre les suicides parmi le personnel et les conditions de travail. Son discours est toujours le même : les suicides sont multifactoriels, rien ne prouve qu’il y ait un lien avec les conditions de travail. Les suicides ne sont donc pas répertoriés comme tels dans le bilan social et il nous est impossible d’obtenir le chiffre global. Pourtant, une étude comparative sur les dix dernières années entre la courbe des suicides en France et celle des suicides à l’AP-HP mettrait très certainement en évidence la responsabilité de l’administration. En 2011, 29 suicides ont néanmoins été répertoriés à l’AP-HP. Relevons que l’administration, malgré son discours, a édité un guide sur les risques psycho-sociaux et a invité les cadres à « surveiller le personnel ». L’administration se sent donc bien responsable…

 
 

Article paru dans l’Humanité Dimanche n°300, 23 au 29 février 2012